NEVROSE
HYSTERIQUE
Les
premières manifestations de la névrose sont fréquemment repérables dès
l’enfance: émotivité, suggestibilité, exaltation imaginative, troubles des
conduites alimentaires, crises de nerfs, évanouissements, «comédies».
Les grands accidents hystériques apparaissent par périodes en relation
avec des situations vitales que le malade ne peut assumer. Il n’est pas rare
de les voir débuter peu après le mariage, ou la naissance du premier enfant.
Tout au long de l’existence, les épisodes conflictuels de la vie conjugale ou
familiale, les frustrations affectives, les situations d’abandon ou
d’isolement pourront être l’occasion de décompensations transitoires ou
durables. Qu’il s’agisse d’obligations à éluder, de gratifications
narcissiques à obtenir de la part d’un entourage indifférent, de dangers à
éviter en particulier dans le domaine sexuel, le refuge dans la maladie
constitue pour l’hystérique une solution à laquelle il recourt lorsque ses
autres moyens de défense se révèlent insuffisants à lui procurer la sécurité
et la valorisation indispensables.
La durée et l’évolution des accidents hystériques sont très
variables: tout peut s’observer depuis l’aphonie de quelques jours jusqu’à
la paraplégie clouant le malade au lit pendant des années. Si l’on se réfère
aux statistiques portant sur des malades hospitalisés, l’on constate que pour
un tiers au moins d’entre eux la durée de l’accident dépasse un an, que
pour un quart elle se prolonge au-delà de cinq ans. Parfois, il s’agit de phénomènes
répétitifs, de courte durée, utilisant chaque fois le même symptôme préférentiel
ou changeant de registre à chaque épisode.
L’hystérie est une maladie dont l’évolution est étroitement conditionnée par le milieu. C’est le jeu des relations interpersonnelles avec les parents, le conjoint, l’employeur, qui en modèle la physionomie, détermine les ruptures et les crises, permet des phases de relatif équilibre. Il y a des milieux gratifiants et d’autres rejetants; des familles hyperprotectrices, des conjoints masochistes entretiennent comme à plaisir des comportements de dépendance régressive dont ils se satisfont. Si l’hystérie n’est pas au départ une maladie iatrogène, le médecin n’en a pas moins parfois un rôle regrettable dans la fixation des troubles. En octroyant aux symptômes un cachet d’organicité, «il gèle la demande». Certaines erreurs tactiques seront par la suite difficiles à réparer. Rien de plus ardu que de «déchroniciser» un malade qui a organisé son existence de malade chronique et dont l’assistance sociale favorise le style de vie parasitaire. Bien souvent on sera amené avec de tels malades à adopter une politique de compromis. Il faudra toute l’habilité du thérapeute pour allier les gratifications raisonnables et les exhortations invigorantes dans une cure nécessairement de longue durée et dont il n’est pas facile de garder toujours le contrôle. En revanche, lorsque le symptôme a perdu sa raison d’être ou que les bénéfices secondaires sont devenus négligeables, si la situation de malade s’avère inconfortable, on peut assister à une guérison «en coup de foudre» quasi miraculeuse. L’isolement, privant l’hystérique de son public, a souvent un rôle curateur: «Le rideau est baissé, la représentation s’achève.» L’effet parfois magique de la suggestion tient autant au personnage du thérapeute qu’à la mise en scène qui l’accompagne. Tous les medicinemen, des chamans aux curanderos, connaissent les procédés qui, abaissant le seuil de vigilance et frappant l’imagination, permettent une catharsis libératrice, une guérison rituelle (un exorcisme) à laquelle la participation collective du groupe assure une solennité, une publicité, propres à en consolider les effets. Nos techniques ne vont guère plus loin: hypnose, suggestion armée (faradisation du membre malade) et subnarcoses amphétaminées.
HYSTÉRIE
Personnalité
hystérique
On
appelle personnalité hystérique un type de personnalité caractérisée
cliniquement par les traits suivants: égocentrisme, histrionisme, labilité émotionnelle,
pauvreté et facticité des affects, érotisation des rapports sociaux, frigidité
sexuelle, dépendance affective.
L’histrionisme est le
trait qui frappe dès l’abord; tout est mis en œuvre pour attirer
l’attention, plaire et séduire. L’hystérique ne craint rien davantage que
de passer inaperçue et, dans son besoin de paraître, utilise les procédés et
artifices habituels au monde du spectacle. Afficher un personnage, jouer un rôle,
répond pour l’hystérique à une nécessité impérieuse, celle d’éviter
une rencontre authentique avec autrui. Derrière les déguisements qui la
masquent, à travers la multiplicité des personnages qu’elle emprunte, la
personne de l’hystérique ne se laisse pas connaître. C’est parce qu’elle
n’a pu se forger une histoire qui lui soit authentiquement personnelle, ni une
identité qui lui soit propre que l’hystérique est amenée à vivre par
substitution l’existence d’autrui. Rien n’est pire pour l’hystérique
que la rupture de cette relation à l’autre de laquelle lui vient le sentiment
d’existence: elle est alors renvoyée à une solitude insupportable dont elle
cherche à se sortir en s’engageant dans une nouvelle relation aussi
totalement et aussi frénétiquement que dans la précédente. Cela explique
l’impression de versatilité et d’insincérité qu’elle donne généralement,
encore qu’elle proteste de l’authenticité de ses sentiments, et, dans
l’instant, elle a raison.
Le comportement de séduction
qui caractérise la femme hystérique lui donne une valorisation narcissique
permanente tout en lui permettant de se maintenir à distance. Elle affiche une
hyperféminité qui lui permet de se cacher à elle-même et de dissimuler à
autrui son absence réelle de féminité, son refus profond d’être une femme.
Les attitudes de coquetterie, les invites, autant de feintes propres à dérouter
«l’adversaire» que laisse désarçonné un retrait ou une fuite dont elle se
glorifie. «Qu’elle nie en bloc tout besoin de l’homme, ou qu’elle démontre
dans un couple pathologique l’incapacité de son partenaire à la faire jouir,
l’hystérique se présente comme celle qui sera toujours «déçue», qui
contestera toujours à l’homme sa capacité de la combler, c’est-à-dire sa
virilité» (Israël et Gurfein).
C’est essentiellement contre la peur de la castration que sont orientés
les mécanismes de défense dont le plus fondamental est ici le refoulement. Les
difficultés de résolution du complexe d’Œdipe ont laissé une ambiguïté
dans l’identification au père ou à la mère. Les tendances à
l’identification féminine chez l’homme, à l’identification masculine
chez la femme, sont fortement refoulées, mais restent très actives, entraînant
les troubles constants de la sexualité.
Sans pouvoir élucider complètement les relations existant entre symptômes
hystériques et personnalité hystérique, on peut affirmer qu’il existe une
certaine concordance entre les deux, mais non une superposition absolue. On
trouve des personnalités hystériques chez qui la somatisation est modérée ou
transitoire, restant du domaine de l’asthénie, des algies, des céphalées;
les troubles du caractère et de la sexualité domineront la scène. À
l’inverse on observe des accidents de conversion hystérique chez des sujets
n’ayant pas une personnalité hystérique de base; les faits de guerre, les épidémies
d’hystérie sont là pour le démontrer. En outre, les études de Chodoff, de
Stephens, de Ljungberg mettent en évidence l’existence fréquente chez les
hystériques de conversion d’un autre type de personnalité, la personnalité passive
dépendante , psycho-infantile ,
assez proche de la personnalité orale
des psychanalystes.
HYSTÉRIE
«La
définition de l’hystérie, disait C. E. Lasègue (1878), n’a
jamais été donnée et ne le sera jamais. Les symptômes ne sont ni assez
constants, ni assez conformes, ni assez égaux en durée et en intensité pour
qu’un type même descriptif puisse les comprendre tous.» Un siècle a passé,
l’imprécision demeure; peu de désordres psychiques ont suscité cependant
une telle curiosité, tant de recherches, de discussions passionnées. À en
lire le récit, on reste confondu du ton des polémiques; la bienveillance
n’est pas de mise dans ces querelles d’écoles. C’est que l’hystérie,
source d’inquiétude autant que d’irritation, défi aux lois de la médecine
anatomo-clinique, insaisissable, inclassable, met en cause, plus qu’aucune
autre maladie, la subjectivité de celui qui l’aborde. Avec elle jouent
librement, massivement, les phénomènes de transfert et de contre-transfert.
Les limites mêmes de l’affection sont difficiles à cerner. Si ses aspects
typiques, spectaculaires se laissent aisément repérer, il n’en est pas de même
des manifestations mineures qui se situent aux confins du normal et du
pathologique. Quant aux modalités expressives de l’hystérie, elles tiennent
autant du culturel que de l’individuel. Selon l’époque et la culture, le
groupe social facilite ou réprime les manifestations les plus bruyantes de la névrose.
La civilisation technique les favorisant peu, on est rarement confronté
aujourd’hui avec «la grande hystérie» telle qu’elle fut popularisée par
l’iconographie de la Salpêtrière au temps de J. M. Charcot, mais
l’hystérie n’en a pas disparu pour autant, elle s’est faite plus discrète,
elle suit d’autres modes.
1.
Les manifestations de l’hystérie: un langage
L’hystérie
est une névrose à manifestations polymorphes dont l’originalité réside en
ce que les conflits psychiques inconscients s’y expriment symboliquement en
des symptômes corporels variés, les uns paroxystiques comme les attaques
(crises convulsives, crises pantomimiques), les autres plus durables
(paralysies, contractures, grossesse nerveuse, cécité, etc.). Le symptôme
somatique, c’est l’incarnation du fantasme, solution de compromis empêchant
l’accès à la conscience du conflit refoulé, tout en permettant une réalisation
substitutive et déguisée du désir interdit. L’épreuve de la réalité est
ainsi évitée puisque le symptôme corporel se substitue à une représentation
(image, idée, souvenir), lorsque les éléments refoulés, alimentés du dedans
par les poussées instinctuelles ou réactivés du dehors par les situations,
les événements actuels, tendent à réapparaître au niveau conscient. La
diminution de la tension anxieuse que provoquent les conflits internes sera le bénéfice
primaire, immédiat, de ce que l’on a coutume d’appeler, depuis les premiers
textes freudiens, la conversion hystérique.
La «belle indifférence» qu’affiche l’hystérique vis-à-vis de
ses symptômes est bien le signe que cette conversion, lorsqu’elle est réussie,
constitue le plus efficace des mécanismes névrotiques de défense contre
l’angoisse. Le domaine de l’hystérie, c’est donc celui des intentionnalités
inconscientes, celui des interdits et de leur transgression; son langage,
c’est le langage du corps, déchiffrable à la manière de l’interprétation
du rêve puisque les troubles corporels s’y organisent dans leur forme matérielle
en fonction des syntaxes signifiantes de l’inconscient. Mais qui dit langage
sous-entend interlocuteur, et c’est ici qu’apparaît l’autre fonction du
symptôme hystérique qui est de structurer la relation à autrui. Les bénéfices
secondaires qui en découlent s’avèrent souvent si importants qu’ils
conditionnent largement l’évolution de l’affection.
Le symptôme hystérique est en effet un message , inhabituel dans sa forme, mais éloquent dans son
contenu, singulièrement efficace en tant qu’appel à l’Autre, parent, médecin,
entourage proche ou corps social dans son ensemble, dont il secoue l’indifférence
et suscite inévitablement une réponse; la qualité de cette réponse influera
à son tour sur le porteur du message, c’est-à-dire l’hystérique qui, décidé
à se faire entendre, modèlera sa demande sur le désir d’autrui; de là
viennent cette adéquation des symptômes aux concepts de l’époque et aux stéréotypes
de la culture, et cette étonnante fluctuation d’une sémiologie qui reste
avant tout un langage.
Sans dresser l’inventaire de manifestations si protéiformes qu’elles
peuvent simuler à s’y méprendre toute la pathologie, on retiendra plusieurs
caractéristiques de l’expressivité hystérique.
Diversité
des symptômes
Les
crises
L’hystérie
est avant tout la «maladie des attaques». Plus de la moitié des malades en présentent
peu ou prou. Les unes paraissent directement motivées par la conjoncture
relationnelle: banales crises de nerfs, évanouissements, qu’une incitation un
peu vive, une aspersion d’eau froide calment plus aisément que douceur et
pitié. Les autres sont plus mystérieuses, inquiétantes; vécues dans un état
de demi-conscience qui favorise les décharges agressives et orgastiques, elles
se déroulent suivant d’étranges scénarios où les fantasmes projetés sont
représentés en pantomimes de terreur, de violence ou d’érotisme. Au cours
de «la grande attaque» qu’inaugure l’ascension de la boule
hystérique de la région ovarienne à l’épigastre puis à la gorge
se succèdent convulsions désordonnées, contorsions bizarres, clownesques
(incurvation du corps en arc de cercle, grandes oscillations salutatoires du
tronc), «attitudes passionnelles» figeant le corps dans l’immobilité
cataleptique de l’extase ou bien l’agitant frénétiquement de transes
qui furent autrefois qualifiées de démoniaques.
Les crises observées de nos jours sont généralement tronquées, de
courte durée, mais n’en restent pas moins fort spectaculaires. C’est lors
d’hystéries collectives que
les attaques atteignent au paroxysme. L’épidémie de danse de Saint-Guy qui sévit
en Allemagne à la fin du Moyen Âge, les sabbats de sorcières relatés dans
les procès de sorcellerie, les scènes d’hystérie convulsive autour du
baquet de Mesmer ou sur la tombe du diacre Pâris au cloître Saint-Médard, les
conversions épidémiques du revivalisme sont autant d’exemples de cette hystérie
convulsionnaire épidémique dont la «psychiatrie transculturelle» a fait
connaître des équivalents contemporains: le mal
de pelea à Porto Rico, le pibloktoq
esquimau.
Les
accidents somatiques durables
Les
accidents somatiques durables surviennent surtout au niveau des organes de la
vie de relation dont ils paralysent la fonction; motricité, sensibilité,
phonation, activité sensorielle, peuvent être touchés de façon élective ou
concomitante.
L’atteinte motrice se réalise
sous forme de paralysies, de contractures, de mouvements anormaux. Ne
s’accompagnant d’aucun signe objectif d’atteinte lésionnelle des voies ou
centres nerveux, elle ne respecte pas la systématisation anatomique, mais prend
modèle sur les représentations populaires, car elle exprime l’idée que le
malade se fait du fonctionnement de son propre corps. D’où ces curieuses
paralysies localisées «en manche de veste, en gigot, en manchette», ces
contractures reproduisant une attitude expressive. Pierre Janet cite l’exemple
d’une jeune fille qui garda pendant un an la main droite contracturée dans la
position «d’une main qui tient une aiguille». La tradition populaire et
religieuse transmet le souvenir de gestes agressifs ou sacrilèges, arrêtés
par le courroux de Dieu (et la culpabilité inconsciente), et où la main
responsable resta figée dans le geste interdit. Le marin du Pluton , examiné par J. Delay, gardait depuis le naufrage
de son navire, neuf ans auparavant, une plicature du tronc (camptocormie). Au
cours d’une narco-analyse, le malade «évoqua pêle-mêle des souvenirs qui
étaient tous centrés sur la catastrophe dont il avait été une des victimes:
l’explosion du Pluton , la mort
de son ami Gaston, la chute sur le dos, tous faits dont il ne parlait ni se
souvenait à l’état de veille, et qui étaient revécus dans un état de
tension émotive extrême... Quand il fut complètement réveillé, il fut très
étonné, d’une part, d’avoir retrouvé tous ses souvenirs relatifs à
l’explosion et, d’autre part, de ne plus ressentir aucune douleur
dorso-lombaire; en fait, la contracture avait brusquement disparu».
Les atteintes sensitives sont
aussi fréquentes que les atteintes motrices, auxquelles elles s’associent
souvent. Volontiers méconnues du malade, très variables dans leur
localisation, et ce en fonction de l’examinateur, les anesthésies
revêtent une topographie fantaisiste, «en gants», «en bottes», «en manche
de veste» ou encore «au cordeau», intéressant la totalité d’un hémicorps.
Faut-il rappeler que lors des procès en sorcellerie l’insensibilité au fer
rouge était tenue pour stigmate de culpabilité?
À cette anesthésie cutanée et muqueuse (pharyngée, vaginale) peuvent
se superposer des points hyperesthésiques, «le clou hystérique» de T. Sydenham
au sommet du crâne, les «zones hystérogènes» de Charcot, en particulier les
points ovariens dont la compression déclenchait invariablement une attaque. On
a insisté récemment sur la fréquence et le caractère rebelle des algies
hystériques. Qu’elles soient isolées ou qu’elles surviennent dans le
sillage d’une atteinte sensitivo-motrice, qu’elles soient fixes ou
erratiques, temporaires ou persistantes, elles sont caractérisées surtout par
l’impotence fonctionnelle qu’elles entraînent: ce sont des céphalées qui
empêchent de lire, des rachialgies qui gênent la marche ou la station debout
prolongée, des arthralgies qui condamnent au lit pour des mois. Ces algies
expliquent en partie la fréquentation médicale excessive de ces malades,
l’abondance des examens paracliniques, l’épaisseur des dossiers
radiologiques, la multiplicité des thérapeutiques essayées: chimiothérapie,
homéopathie, magnétisation, élongations, massages, cures thermales, etc.
Elles peuvent être à l’origine d’interventions chirurgicales abusives et
mutilantes, le masochisme forcené de certains malades ne trouvant satisfaction
que dans cette solution qui les débarrasse radicalement de l’organe rendu
responsable.
Le langage émotionnel de l’hystérique utilise aussi le système
neuro-végétatif dont la dysrégulation est d’ailleurs chez lui habituelle.
Tout autant que les symptômes sensitivo-moteurs, les spasmes des muscles lisses et des sphincters, boule œsophagienne,
vomissements incoercibles, toux nerveuse, rétention d’urine, vaginisme,
expriment les émois et les conflits. Le tympanisme abdominal joint au spasme du
diaphragme réalise le gros ventre hystérique
fréquent dans la pathologie nord-africaine et dans l’hystérie de
guerre. Il peut être le premier temps d’une grossesse nerveuse dont le tableau se complètera par l’arrêt
des règles et le gonflement mammaire.
Des troubles vaso-moteurs et trophiques peuvent accompagner certaines
paralysies (œdème bleu, phlyctènes, ecchymoses). Une prédisposition
somatique (labilité neuro-végétative, tendances hémogéniques) peut les
expliquer, mais la supercherie n’est pas toujours exclue, et une surveillance
étroite entraîne souvent leur disparition. Il en est de même pour ces fièvres
inexplicables, ces hémorragies localisées (sueurs de sang), ces stigmates
imitant ceux du crucifié. Il s’agit là d’un domaine très controversé.
Une littérature abondante a été consacrée aux cas les plus célèbres, Marie
Kœrl, Louise Lateau, Thérèse Neumann; la discussion reste ouverte, mais la
quasi-totalité des cas observés en clinique appartient au domaine de la
pathomimie.
Les
symptômes d’expression psychique
Les
domaines de la mémoire et de la vigilance sont les plus souvent affectés. Ce
qui est constamment perturbé chez l’hystérique, c’est la possibilité d’évoquer
certains souvenirs. L’amnésie infantile
prolongée en est un des aspects caractéristiques. Ainsi, telle
malade qui ne conserve aucun souvenir antérieur à l’âge de quatorze ans;
elle ne peut évoquer aucun lien, aucune figure... Les amnésies
électives sont l’exagération et la localisation de l’amnésie
biographique: oubli d’une expérience honteuse ou pénible, oubli d’une
tranche de vie, méconnaissance systématique d’un événement douloureux. Irène,
la malade de Janet, avait oublié sa mère d’une manière invraisemblable. «Non
seulement elle n’y pensait plus, mais si on la forçait à y penser, on
constatait qu’elle ne réussissait pas à se la représenter, à évoquer son
image. Si on l’interrogeait sur la mort de sa mère, on voyait qu’elle
savait la chose sans y croire: «Je dis qu’elle est morte pour dire comme tout
le monde, mais je n’en sais rien; j’ai dû pourtant la soigner.» Les illusions
de la mémoire masquent très souvent des lacunes mnésiques en
donnant au récit une apparence de vérité. De ces faux souvenirs, le plus
caractéristique par sa fréquence et sa signification, c’est l’évocation
de scènes infantiles de séduction et de viol. Après avoir longtemps ajouté
foi aux récits de ses malades et cru trouver là, dans ces expériences
traumatisantes, l’origine du mécanisme du refoulement et de la névrose hystérique,
Freud fut conduit progressivement à mettre en doute la véracité des scènes
de séduction et à découvrir qu’elles sont souvent le fruit de
reconstructions fantasmatiques.
Le refus de la réalité peut aussi bien s’exprimer par des troubles de
la vigilance dont une des modalités les plus fréquentes est la distractivité ,
qui permet de scotomiser les perceptions extérieures vécues comme déplaisantes.
Si l’on considère que «dormir, c’est se désintéresser», on ne
s’étonnera pas que l’hystérique puisse être sujet aux «attaques de
sommeil», aux états léthargiques qui
durent parfois quelques jours ou même plusieurs semaines, et se terminent
habituellement par une crise convulsive. Plus étranges sont les phénomènes de
clivage de conscience dont les états
somnambuliques représentent un aspect caractéristique et
impressionnant; en état de demi-sommeil, le malade joue une scène dramatique,
soit totalement imaginée, soit construite sur le thème d’un événement qui
l’a frappé. L’automatisme ambulatoire
qui associe somnambulisme et fugue amnésique représente l’exemple
type de la réaction hystérique aiguë pouvant survenir lors d’une situation
fortement traumatisante. Quant aux états
seconds , si minutieusement décrits à la fin du siècle dernier, ils
sont le fait de grands hystériques chez lesquels alternent deux, voire trois
personnalités différentes dont chacune ignore les projets, les actes,
l’existence même des autres. La littérature et le cinéma se sont emparés
de ces faits pathologiques si étranges et à vrai dire rarissimes dont on
trouve les premières descriptions cliniques dans les écrits de William James,
de Morton-Prince, d’Azam, de Flournoy.
Choix
et signification du symptôme
Que
l’imitation puisse jouer un rôle,
cela est indéniable: l’hystérie infantile, l’hystérie collective en
offrent des exemples frappants. Que la suggestion
puisse créer «à la demande» un symptôme hystérique, J. Babinski
l’avait bien vu, mais il s’en faut que tous les hystériques soient des
suggestibles, des hypnotisables. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’hystérie
que l’on puisse y observer une telle mobilité ou une telle fixité des symptômes.
La localisation du symptôme dépend de facteurs multiples. Une moindre résistance
constitutionnelle ou acquise peut constituer un point d’appel; un myope aura
des troubles visuels, un spasmophile des crises convulsives. L’identification
à un parent, à un «rival heureux», l’identification à soi-même, c’est-à-dire
avec un état personnel antérieur, sont souvent retrouvées dans le déchiffrage
des symptômes; certaines algies reproduisent des douleurs éprouvées lors de
maladies infantiles et rééditent les conflits mobilisés à cette époque
(gain d’amour parental, menace de castration, culpabilité masturbatoire). Il
peut même y avoir identifications multiples; une malade de Freud, au cours
d’une crise, essayait de se déshabiller avec sa main droite tout en s’en
empêchant avec la gauche, s’identifiant ainsi simultanément à l’homme lui
faisant violence et à la femme violentée. L’érotisation de certaines
fonctions (vision, langage), de certaines zones corporelles, établie durant les
premiers stades de la sexualité infantile, explique la nature de quelques
choix. Mais souvent le symptôme sera choisi en fonction de son aptitude à
exprimer la tendance inconsciente; une paralysie pourra être une défense
contre l’activité sexuelle répréhensible tout en étant son substitut; un
spasme assurera la suppression de l’action et simultanément un substitut
tonique de cette action. Un vomissement signifiera «je ne peux pas l’avaler».
Formes
cliniques
Selon
le sexe
L’hystérie
est environ trois fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme. Elle
est volontiers, chez l’homme, mono- ou paucisymptomatique. Chez la femme
s’observent des tableaux plus riches, plus mobiles, plus polymorphes.
Les circonstances étiologiques diffèrent beaucoup d’un sexe à
l’autre. Si l’on admet que l’hystérique laisse son corps négocier une
situation qu’il est incapable de surmonter par une conduite active, on peut
comprendre aisément que chez la femme dominent les conflits de la sphère
affective ou sexuelle alors que chez l’homme les circonstances
socio-professionnelles et les faits de guerre sont fréquemment retrouvés. «L’hystérie
chez la femme exprime une revendication affective impatiente qu’elle adresse
à son entourage (parent, conjoint). Chez l’homme, il se produit un déplacement
du besoin de satisfaction affective qui ne s’adresse pas à la femme – dont
il est méprisable de quémander l’amour en se faisant plaindre –, mais à
la société. L’être social impersonnel satisfait ce désir par le don
d’argent. Aussi, si le bénéfice secondaire est souvent matériel chez
l’homme, alors qu’il est psychologique chez la femme, il satisfait chez
l’un et l’autre la même revendication.
La femme attend de son partenaire sa justification par l’amour qui représente
son besoin essentiel, tandis que l’homme s’affirme, non pas grâce à la
tendresse de sa femme, mais par la réussite sociale qui peut seule lui donner
le moyen de revenir vers la femme en vainqueur. L’hystérie traumatique est fréquente
chez l’homme alors que chez la femme, même lorsqu’elle travaille, elle est
rarissime; la compensation sociale ne l’intéresse pas. La demande de la femme
hystérique s’adresse à l’homme, celle de l’homme à la société» (S. Lisfranc).
Selon
l’âge
La
moitié des malades présentent leurs premiers symptômes entre quinze et
vingt-cinq ans; 10 p. 100 seulement après quarante-cinq ans.
L’hystérie infantile n’est
pas exceptionnelle; elle n’a pas un pronostic spécialement péjoratif. Les
accidents débutent souvent après une maladie authentique et le rôle de
l’imitation y peut apparaître indéniable tant dans le déclenchement que
dans le choix des symptômes. Les crises nerveuses, la boiterie, les
contractures, les fièvres inexplicables en sont les aspects habituels. Les
motifs inconscients sont généralement évidents: valorisation par la maladie,
identification à un parent malade, fuite devant des obligations scolaires,
regain d’affection et d’intérêt.
L’hystérie du sujet âgé est
assez souvent méconnue. Passée chez la femme la période ménopausique, la
première survenue d’accidents hystériques est une éventualité peu fréquente;
c’est presque toujours à l’occasion du décès d’un proche (mère,
conjoint) ou du mariage d’un enfant qu’apparaît une réaction de «deuil
hystérique», et la béquille sur laquelle s’appuie l’astasique-abasique
n’est qu’une image du soutien affectif qui fait défaut. Les études sur le
vieillissement des hystériques ont montré qu’avec l’âge les épisodes de
décompensation avaient moins tendance à se faire sur le mode déficitaire
(paralysie) et davantage sur le mode algique. La dépression hypocondriaque est
très fréquente dans la vieillesse des hystériques.